Maisons poubelles au Japon : la face cachée d’une société obsédée par la propreté
Derriere la propreté impeccable des rues japonaises se cache une réalité alarmante : les maisons poubelles, un phénomène social et psychiatrique méconnu

La propreté au Japon est souvent citée en exemple : rues impeccables, toilettes publiques éclatantes, enfants qui nettoient eux-mêmes leur salle de classe. Le shintoïsme, religion traditionnelle japonaise, accorde une grande importance à la pureté. Ce culte de la propreté se traduit jusque dans les foyers avec des pratiques comme le bain quotidien ou le retrait des chaussures à l’entrée.
Pourtant, un contraste saisissant existe : si les lieux publics sont propres, certains logements privés sombrent dans une accumulation maladive de détritus, à tel point qu’on parle de « maisons poubelles ». En japonais, on les appelle gomi yashiki (ごみ屋敷), littéralement « manoirs de déchets ».
Une absence de poubelles dans l’espace public : une cause historique
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’absence de poubelles publiques au Japon n’est pas un oubli mais une mesure de sécurité. Elle remonte à l’attentat au gaz sarin perpétré en 1995 dans le métro de Tokyo par la secte Aum Shinrikyo. Depuis cet événement traumatisant, les poubelles ont été massivement supprimées dans l’espace public pour éviter de nouveaux actes terroristes.
Cette absence de points de collecte extérieurs encourage les Japonais à ramener leurs déchets chez eux. Mais pour certains, cela devient un fardeau psychologique qui contribue à l’accumulation de déchets dans leur propre logement.
Derrière les murs : la réalité des maisons poubelles
Les gomi yashiki sont des habitations où les ordures se sont entassées jusqu’à recouvrir le sol, les meubles, voire les murs. Les raisons sont multiples : isolement, dépression, anxiété sociale, mais aussi une logistique complexe de tri des déchets au Japon (types de déchets, horaires stricts, contrôles de voisinage).
On estime que ces situations concernent plus de 1000 cas officiellement recensés chaque année. Mais les chiffres réels seraient bien plus élevés. Des entreprises spécialisées dans le nettoyage extrême comme Kilali ou Partners traitent jusqu’à 2400 cas par an… chacune !
Du symptôme au syndrome : comprendre le syndrome de Diogène
Si toutes les maisons poubelles ne relèvent pas de la maladie mentale, certaines sont le symptôme d’un trouble plus profond : le syndrome de Diogène. Il s’agit d’une pathologie caractérisée par :
- une accumulation compulsive (appelée silogomanie),
- une négligence extrême de l’hygiène corporelle et domestique,
- un déni de la maladie.
Au Japon, on parle plutôt de « self neglect » (autonégligence), un terme moins empathique qui renvoie la responsabilité de l’état mental sur la personne elle-même. Ce choix sémantique a des conséquences lourdes : les personnes atteintes sont rarement identifiées comme malades et reçoivent peu ou pas de soutien médical.
Une industrie florissante : le nettoyage extrême et ses enjeux
Le nettoyage de maisons poubelles est devenu un véritable marché. Des sociétés privées proposent leurs services contre plusieurs centaines voire milliers d’euros. Certaines en font même des contenus YouTube viraux pour se promouvoir.
Il n’est pas rare de découvrir, au milieu des déchets, des objets de valeur : montres de luxe, bijoux, argent liquide. Certains investissent même dans ces logements pour les revendre avec plus-value après nettoyage.
Mais attention à ne pas oublier l’essentiel : ces logements sont souvent le théâtre d’une grande souffrance humaine. Parfois, ils sont habités par des personnes malades, incapables de prendre soin d’elles-mêmes, voire d’enfants.
Les enfants négligés : victimes invisibles
Le cas des enfants vivant dans des maisons poubelles est particulièrement choquant. Certains, comme le témoigne Neige de lit, grandissent dans la saleté sans savoir que ce n’est pas normal. Ce n’est qu’à l’adolescence ou à l’âge adulte qu’ils prennent conscience de leur marginalisation.
Des drames surviennent parfois, comme à Osaka en 2010, où deux enfants ont perdu la vie en raison de la négligence parentale. Le gouvernement japonais multiplie les campagnes de sensibilisation, mais les tabous culturels rendent l’identification des cas très difficile.
Démence et Diogène : un duo dangereux
Le syndrome de Diogène est parfois couplé à des troubles comme la démence sénile, qui rendent les malades dangereux pour eux-mêmes ou pour leur entourage. Par exemple, des proches peuvent se retrouver menacés physiquement par une personne atteinte de démence et déconnectée de la réalité.
Face à ces cas extrêmes, l’hospitalisation psychiatrique devient la seule option viable. Malheureusement, dans la majorité des situations, l’intervention n’a lieu qu’une fois les dégâts déjà bien avancés.
A lire: Quand des Japonais jugent les restaurants populaires en France
Le phénomène des maisons poubelles au Japon ne se limite pas à une question de propreté ou de flemme. Il met en lumière un problème de santé mentale systématiquement sous-estimé, voire ignoré. Derriere chaque gomi yashiki peut se cacher une personne qui souffre, souvent en silence.
Changer le vocabulaire employé, distinguer les cas de « self neglect » et de Diogène avéré, permettrait d’apporter une meilleure prise en charge et de sauver des vies, parfois dès l’enfance. Le Japon, tout comme les autres pays concernés, a tout intérêt à regarder au-delà de ses apparences.